Laurent Périn – Intervention générale sur les recettes :
Monsieur le président,
Monsieur le vice président,
Cher.e.s collègues
Autant vous le dire d’emblée, mais au vu des interventions de notre groupe hier, vous l’avez compris, nous ne partageons pas votre appréciation sur ce budget, que vous avez qualifié en commission la semaine dernière, de « beau budget ». Non ce n’est pas beau de réduire drastiquement les politiques éducatives, d’insertion, culturelles, environnementales, les investissements, d’autant plus, mais Céline Scavennec y reviendra, quand vous le faites sans vraiment beaucoup de transparence dans cette présentation budgétaire.
Mais revenons sur la construction de ce budget 2024, et tout d’abord sur les recettes : vous insistez sur la baisse des DMTO (une baisse attendue de plus de 50 millions, baisse d’ailleurs plus forte qu’ au niveau national). Mais, vous auriez pu également pointer la hausse de la part de TVA à recevoir et de la Taxe spéciale sur les conventions d’assurances (+31M, qui devient supérieure aux DMTO). Nous ne sommes donc pas tant dans une crise des recettes (même si c’est évidemment compliqué de piloter sans marge de manœuvre fiscale) puisque celles-ci augmentent de 2% entre 2022 et 2023, mais sur un problème de dépenses ou de décisions nationales non compensées. Alors, bien sûr vous le dites, à mots feutrés, pour ne pas froisser les membres de votre majorité également parlementaires qui ont validé cette asphyxie budgétaire.
Mais comment avoir de la visibilité sur les recettes à venir dans l’année, quand un certain nombre de dispositifs ne sont pas finalisés (contrat de ville, expérimentation France Travail ou encore le pacte des solidarités…) ou quand le gouvernement annonce une coupe de 10 milliards d’euros, quelques semaines après l’adoption du budget 2024, adopté, pour rappel avec l’utilisation du 49.3 par le gouvernement. Annonces qui vont largement impacter les collectivités locales qui plus est sur des secteurs essentiels en matière d’investissement. Par exemple, la mission « Écologie, développement et mobilité durables », supportant 22% de l’effort global est la plus touchée, puisque le décret acte une baisse de 2,2 Md€ . Le dispositif « Ma prime renov’ », porte-étendard de la politique de rénovation des bâtiments, est un des dispositifs les plus impactés avec environ 1 Md€ d’économie. Le Fonds Vert (géré par le ministère de la transition écologique et dédié aux collectivités pour financer des projets de « performance environnementale, adaptation du territoire au changement climatique et amélioration du cadre de vie ») perd la quasi-totalité de l’augmentation de 500M€ annoncée en septembre. C’est tout de même l’équivalent de 48 collèges non rénovés…
Les recettes sont contraintes, c’est pourquoi il convient de s’emparer de tous les dispositifs permettant de dégager des marges de manœuvre budgétaires. C’est en ce sens que nous vous invitions à engager dès 2021, le département du Nord, dans l’expérimentation de recentralisation du financement du RSA, comme a pu le faire le département de Seine-Saint Denis. Avec à la clé pour ce département, le dégagement jusqu’à 70 millions d’euro supplémentaires par an,, réinvesti à plus de 50% dans l’accompagnement des allocataires, et le reste aux politiques sociales, un plan exceptionnel de recrutement en faveur de l’insertion et de l’aide sociale, le doublement des référents de parcours sociaux et socio-professionnels (passant de 170 à 340 référents), ainsi que la multiplication par deux des places dans les actions d’insertion (6350 à 12 700 places) d’ici 2026.
Mais en matière d’expérimentation et d’accompagnement des allocataires du RSA, vous avez fait un autre choix, celui de l’expérimentation France Travail. Nous avons pu visiter le plateau France Travail le 19 février dernier. Nous reconnaissons l’intérêt d’un lieu unique d’accompagnement pour les professionnels comme pour la fluidité des parcours des allocataires. Mais ce sont les moyens financiers et humains supplémentaires qui permettent de faire la différence et non les menaces de sanctions sur les allocataires qui ne font que renforcer le non-recours. Alors que vous avez annoncé une extension de cette expérimentation en 2024 à Roubaix, Dunkerque, Maubeuge et Denain, avant généralisation en 2025, quelle sera la pérennité de ces moyens supplémentaires apportés par l’Etat ? Quid de l’obligation de 15h d’activités si il y a moins de moyens d’accompagnement ?
Les chiffres de l’expérimentation à Tourcoing font état de 35% de sortie vers emplois pour les allocataires du RSA accompagnés pour l’instant. 48% pour les publics du parcours emploi. Mais nous continuons de vous interroger sur la qualité des emplois retrouvés : sont-ils durables ? Permettront-ils aux allocataires de sortir de la précarité ?
Ces éléments, nous les demandons, depuis le début du mandat, pour l’ensemble des allocataires du RSA. Vous vous félicitez de la baisse du nombre d’allocataires dans le Nord, mais sans jamais donner les éléments de sortie : emplois en CDI, CDD, formation, suspension, radiation ?
Vous faites de la baisse du nombre d’allocataires un objectif budgétaire : moins 3% affichés pour l’année 2024. C’est très contestable sur le fond mais en plus, totalement déconnecté dans un contexte de remontée du chômage.
Le RSA est un dispositif d’insertion mais aussi de solidarité. A ce titre, le groupe écologiste déplore les baisses de financement pour les structures d’accompagnement des allocataires du RSA, déjà dénoncé en décembre dernier, et que l’on retrouve dans la délibération 2.1 de la commission permanente (ajustements de l’appel à projets Insertion & Emploi).
Pour conclure, un mot pour noter l’absence de l’élaboration d’un budget vert au département du Nord. Car n’en déplaise au vice-président Ziegler, la loi de finances pour 2024 entérine la généralisation des « budgets verts » pour les collectivités de plus de 3 500 habitants et demande aux collectivités d’analyser les impacts positifs ou négatifs de leurs dépenses d’investissement sur l’environnement à partir de leur compte administratif. Aujourd’hui, au moins une centaine de collectivités, dont une dizaine de départements, de toute taille, de toute strate et de tout bord politique réalise un exercice de budgétisation verte.
La budgétisation verte, demande que les considérations environnementales soient intégrées tout au long du processus budgétaire, de la construction au vote budgétaire et enfin lors de l’évaluation. Il ne s’agit donc pas seulement d’identifier les dépenses en faveur ou en défaveur de l’environnement mais bien d’agir en conséquence et notamment au moment de la construction budgétaire pour aligner et prioriser les décisions budgétaires avec les objectifs environnementaux.
Le département du Nord doit s ‘engager rapidement dans cette voie pour éviter les faux débats, pour avancer en transparence.
Céline Scavennec – Intervention générale sur les dépenses :
Je prends donc le relais sur les dépenses.
Vous avez bien mis en avant dans vos présentations les politiques départementales qui verront leur budget en hausse, beaucoup moins les coupes budgétaires et c’est surtout ces domaines que nous avons pointés dans nos interventions précédentes : la culture, l’éducation, l’environnement sont donc les premiers à faire les frais de la recherche d’économie dans les dépenses sur département. Voilà comment le Département du Nord prépare l’avenir !
Plusieurs d’entre vous ont rappelé le contexte budgétaire dans lequel nous sommes : pas d’autonomie fiscale, des dépenses obligatoires non compensées, des recettes en baisse. Et j’ajoute l’État, confronté aux mêmes indicateurs qui va immanquablement demander aux collectivités territoriales de faire des économies. Les temps ne sont pas à l’optimisme, certes, et pourtant ce budget nous donne un message de continuité, c’est comme s’il disait « ne vous inquiétez pas, ça va bien se passer », on va juste raboter quelques politiques optionnelles en attendant des jours (ou des années) meilleurs.
Le problème, c’est que nous n’avons pas du tout cette lecture de la situation économique nationale et départementale, et nous n’avons pas non plus les mêmes réponses à apporter. Ce budget 2024 est pour nous plein d’incohérences et de non-dits, j’en relèverai 3 :
1. Est-ce que vous pensez toujours à la « Culture de la recette » ?
Parmi les dépenses programmées, il y a toujours des études pour des projets d’infrastructures routières qui ne seront pas co-financées par l’Etat/Région dans le cadre du CPER, des projets qui devront donc être payés à 100 % par le Département. Est-ce bien raisonnable ?
Notez au passage, Monsieur le Président pour votre exercice de chiffrage de ce que dit l’opposition, et que vous avez annoncé hier : pour nous le budget infrastructure du département doit servir uniquement à la politique de maintenance des routes pour leur sécurisation, ou au réseau cyclable. Vous pouvez instrumentaliser politiquement des souffrances humaines comme l’a fait hier Monsieur Belleval avec aplomb, ça ne prend pas, « vous n’avez pas le monopole du cœur » lui aurait-on répondu en d’autres temps.
Avec un moratoire sur les routes nouvelles ou les passages en 2×2 voies, nous dégagerions les marges de manœuvre budgétaires nécessaires pour financer nos politiques sociales, culturelles, et de transition écologique écologique.
A l’inverse, alors que malheureusement le Fonds vert de l’État est bien amputé cette année, en cela je ne suis pas en désaccord avec ce que vous avez dit hier sur le Fonds vert, hélas, mais il reste bien un domaine où il est encore possible de bénéficier de ces financements si on croit les annonces ministérielles, c’est tout ce qui va dans le sens de la Stratégie nationale pour la biodiversité. Aubaine pour le département du Nord qui a tant à faire, qui a initié des politiques remarquables autour de la protection des espaces naturels, de la biodiversité, de la renaturation – divers aspects qui nous sont présentées régulièrement dans le COPIL Nord Durable, et je remercie M. le Vice-Président Patrick Valois pour cette démarche ouverte de transparence et de dialogue – hélas les budgets sur l’environnement sont en baisse.
2. les dépenses d’investissement ADVB et PTS :
Je sais que nous ne sommes pas d’accord sur ce point mais vous nous accorderez au moins de n’avoir jamais varié sur ce point : Il faut des critères. Nous avons vu d’un bon œil apparaître des incitations comme le bonus Nord durable ou l’ADVB Énergie, c’est le moment d’aller plus loin et d’arrêter de soutenir des projets d’infrastructures inadaptés aux affres du climat futur. De quoi avons-nous besoin à +4° ? C’est la seule question qui vaille aujourd’hui pour déterminer notre politique d’investissement.
C’est aussi un débat que nous avons eu en COPIL Nord Durable, certains dans la majorité reconnaissent plus ou moins qu’on va y venir aux critères, mais votre souci c’est de ne pas exclure des communes qui n’auraient pas la même sensibilité à ces questions.
OK mais dans ce cas, que fait-on pour renforcer l’ingénierie territoriale au service des communes ? Il faudrait de notre point de vue, et si l’idée est de n’exclure personne, apporter des solutions d’accompagnement pour qualifier les projets et les rendre tous éligibles en quelque sorte au bonus Nord durable. Nos services d’ingénierie savent faire, que ce soit au sein du département, avec Inord, avec les agences d’urbanisme, la mission bassin minier, le CAUE, nous ne manquons pas de compétences.
Dans une précédente période compliquée pour les finances des collectivités territoriales, on entendait une petite musique qui recommandait de ne soutenir que les investissements dans des projets qui n’engendrent pas de dépenses de fonctionnement. Aujourd’hui la règle devraient être de ne soutenir que les investissements qui réduisent nos consommations énergétiques et nos productions de CO2, que des investissements adaptés à un climat à +4°…
Il ne s’agit pas de trouver un moyen de faire des économies, car l’ampleur de la tâche est immense, mais il ne faudrait pas que ce « mur des investissements » pour la transition écologique nous tétanise et nous empêche d’avancer.
3. Et puis, enfin, sur les dépenses sociales, ce budget ne nous satisfait pas du tout.
L’Association des Départements de France prévoit une augmentation des dépenses de RSA et du nombre d’allocataires. Les prévisions de l’ADF au niveau national sont de +5% pour le RSA, +6% pour la PCH, +11% pour l’ASE, +4,5% pour le SDIS, sous réserve que le gouvernement n’impose pas de nouvelles dépenses sociales.
Le Nord est un département « hors normes » comme vous dites souvent pour refuser la comparaison avec les autres départements de France. Permettez nous cependant de douter, sur le RSA, qu’on s’éloigne autant de la trajectoire nationale.
Est-ce bien réaliste de prévoir une baisse des dépenses de RSA ? Au compte administratif 2022 les dépenses de RSA s’élevaient à 621 M€, au CA 2023, nous aurons le chiffre exact en juin lors du vote du CA, mais nous sommes à 629 M€, et cela ne vous empêche de proposer dans ce budget 621 M€ à nouveau. Cela nous semble sous-évalué car cette prévision s’appuie sur une diminution continue du nombre d’allocataires, alors que le chômage remonte. Et alors surtout que les financements de l’Etat pour l’expérimentation France Travail vont diminuer considérablement à partir de 2025 (¼ du budget en moins sur 3 ans).
Au fond, l’équilibre de ce budget 2024 repose sur 2 pieds, la sous-estimation manifeste de certaines dépenses, d’une part, et des coupes budgétaires un peu « honteuses » d’autre part. « Honteuses » parce les interventions du groupe UPN hier n’y font aucune allusion, alors que les différents groupes d’opposition les ont clairement mises en évidence : sur la culture notamment, et l’insertion par la culture en particulier. Je ne vais pas revenir sur tous les sujets évoqués hier, mais juste sur la culture quand même parce que vous n’avez pas répondu clairement à l’intervention de nos collègues Mme Isabelle Zawieja Denizon ou Simon Jamelin et je m’étonne que les élus de la majorité qui viennent de cantons ruraux laissent passer cela : les antennes territoriales de la médiathèque du département sont des points d’appui de très nombreuses politiques autour de la culture et la lecture en milieu rural, donc dites-nous clairement que va devenir la bibliothèque du Quesnoy ? Est-ce que cet équipement va fermer cette année ? Et quelles sont réellement les conséquences des coupes budgétaires auxquelles vous procédez déjà dès cette année 2024 ?
Manque de clarté pour assumer vos décisions, sous-estimations de dépenses sociales, manque d’ambition dans la transition écologique, voilà Monsieur le Président, les raisons pour lesquelles le groupe écologiste ne votera pas le budget 2024.