Question d’actualité commune des groupes écologiste, communiste et socialiste
Intervention de Charles Beauchamp, Stéphanie Bocquet et Didier Manier
Quelles suites donner au climat social détérioré au Département du Nord ?
Pour la première fois en France, les organisations syndicales d’un Département, réunies en intersyndicale, demandent la démission du président de l’exécutif de leur collectivité. Nous, les groupes d’opposition, y voyons la détermination née d’un malaise ancien qui ne fait que s’amplifier. Car si cette demande est née de la houleuse cérémonie des vœux à Téteghem le 24 janvier, cette dernière n’est qu’une goutte d’eau dans un vase déjà trop plein. La fracture est triple : avec la population, avec les agents et avec les élus d’opposition.
I – Des choix politiques qui exposent les plus fragiles et des arbitrages budgétaires indéfendables (la fracture avec les nordistes)
Présider une collectivité, c’est faire des choix. Pour garantir le meilleur usage de l’argent public. Et le plein exercice des compétences obligatoires. Or, depuis le début du mandat, ces choix relèvent davantage de l’arbitraire que de la décision éclairée.
Dernier en date : la baisse des subventions aux clubs de prévention spécialisée. La mobilisation massive des acteurs concernés vous a conduit à y renoncer. Nous pensons aussi au manque de moyens chronique de l’Aide Sociale à l’Enfance. Une situation telle que Claire Hédon, Défenseure des droits, a publié le 29 janvier une décision territoriale alarmante, faisant réagir magistrats et avocats. Dès 2019, nous avons demandé une Mission d’Information et d’Evaluation sur la protection de l’enfance. Suite à ce travail, nous avons proposé une délibération-cadre pour donner à cette politique une feuille de route claire et mesurable, vous avez refusé. Depuis, vous tentez de colmater les dommages créés par la suppression de 700 places d’accueil, décision purement comptable qui a précipité la Protection de l’enfance dans une impasse.
Nous nous inquiétons aussi de la stigmatisation des allocataires du RSA qui semblent, à en croire les consignes données dans les Maisons Nord Emploi, être vus essentiellement comme un poids dans le budget départemental dont il convient de se débarrasser par tous les moyens. Vous avez tenu des propos opposant les plus défavorisés « Celui qui se lève le matin, gagne 1.200€ et veut l’équité par rapport à celui qui touche un max et utilise le système », je cite. Quand on est président d’une collectivité, il n’est pas responsable d’opposer les citoyens de cette façon.
Les Départements sont là pour accompagner socialement les citoyens qui en ont besoin et non professionnellement, mission qui relève de France Travail, et pour laquelle, vous vous êtes substitués à l’Etat. Ce dévoiement des missions s’est doublé d’une politique punitive à l’encontre des allocataires : 80% du RSA supprimé en cas d’absence à UN rendez-vous. Ce n’est ni juste, ni efficace vis-à-vis de celles et ceux qui se débattent dans des situations déjà inextricables.
Dire que le Nord est la collectivité de la solidarité est de moins en moins vrai… Ce n’est pas un avis partisan. Un homme de droite le partage. Il s’agit de Jean-René Lecerf, président du Département de 2015 à 2021. Il a déclaré récemment « Quand vous n’avez plus d’argent, vous ne consacrez pas nécessairement des sommes importantes au Tour de France et au boulodrome de Douai. C’est toujours un problème de choix et de priorités. Le Département, c’est le chef de file du social. Or, on a l’impression que le social, ça n’intéresse pas le président du Département.
II – Une gouvernance autoritaire et irrespectueuse (la fracture avec les agent.es et leurs représentant.es)
Oui, nous parlons bien d’une gouvernance autoritaire et irrespectueuse. Preuve à l’appui, cette réaction véhémente du Président du premier Département de France face à la protestation des travailleurs sociaux à Téteghem choquant les participants et bien au-delà. La majeure partie des agents départementaux ont très mal vécu le dénigrement de leurs collègues et de leurs missions. « Si vous n’êtes pas bien ici, allez travailler ailleurs » avez-vous déclaré. Non, un Président ne devrait pas dire ça.
Le fait d’opposer les agents entre eux a également choqué. « Les travailleurs sociaux qui restent au chaud à attendre » contre « les agents de voirie qui sortent l’hiver dans le froid ». Des propos méprisants pour les travailleurs sociaux. Si la protection de l’enfance n’a pas encore totalement explosé dans le Nord, on le doit bien à leur professionnalisme et à leur dévouement. La situation sociale de notre département est déjà plus que difficile, la violence verbale et même les agressions s’inscrivent de plus en plus fréquemment dans leur quotidien, vous le savez. Si en plus, ils et elles sont stigmatisés par l’exécutif de leur propre collectivité, comment conserver motivation et même santé physique et mentale?
Alors qu’ils auraient besoin de plus de moyens, d’encouragements et de soutien de la part de leur employeur, vous avez tenu à plusieurs reprises, sur les professionnels du Département, notamment de l’ASE, ou encore sur les syndicats, des propos complètement hors-sol. Lorsque vous dites par exemple en séance que certains syndicalistes « feraient mieux de passer plus de temps à s’occuper des enfants ». Comme s’ils étaient responsables de la situation !
Au fil du temps, nous avons compris qu’il ne s’agissait pas de dérapages mais bien d’un mode de communication autoritaire ne supportant aucune contradiction. Cela génère un climat délétère dans de trop nombreux secteurs de l’administration générant découragement, peur et même maladies. La situation est grave, cela ne peut plus durer : pour les agentes et les agents comme pour les Nordistes qu’ils doivent aider, accompagner et protéger.
III- Une gestion jupitérienne et anti-démocratique (la fracture avec les élu.es de l’opposition )
Monsieur le Président, vous avez déclaré récemment que vous aviez changé. Si vous avez effectivement changé, alors nous pensons que vous devriez modifier votre mode de gouvernance. Nous souhaitons une gouvernance constructive donc apaisée. Elle passe par un fonctionnement plus démocratique dans lequel nous, élus d’opposition, sommes informés en amont de vos orientations, pour ne pas les apprendre par voie de presse, et plus globalement un fonctionnement où nous sommes considérés, même si nos idées diffèrent des vôtres. Elle passe par un dialogue social renoué avec les organisations syndicales afin d’être à l’écoute de leurs difficultés. Elle passe par la considération pour tous les Nordistes, indépendamment de leur condition.
Si vous avez effectivement changé, Monsieur le Président, vous devez aussi vous excuser. Auprès des agents du Département, et plus particulièrement des travailleurs sociaux qui étaient à Téteghem. Quand on attaque les travailleurs sociaux, on attaque la solidarité. Nous sommes aux côtés de celles et ceux qui la font. Le respect des travailleurs sociaux n’est pas négociable. Je ne sais pas si vous avez été enfant de chœur dans votre jeunesse Monsieur le Président ; si vous ne l’avez pas été, vous auriez mérité de l’être.
Je termine par une citation que je soumets à votre sagacité : « Errare humanum est, perseverare diabolicum » (Se tromper est humain, persévérer dans l’erreur est diabolique).