Vote Contre – Intervention de Céline Scavennec et Simon Jamelin
pour le groupe écologiste Europe Ecologie Les Verts –Génération.s
Céline Scavennec
Monsieur le Président, chers collègues,
Sur les solidarités territoriales comme sur les solidarités humaines notre groupe s’exprimera à deux voix. Je vais donc commencer et Simon Jamelin poursuivra notre propos.
L’actualité internationale est bien douloureuse, comme nous l’avons vu ce matin, avec notre délibération sur l’Ukraine, elle nous réserve aussi des concomitances bien inquiétantes.
Le 1er mars, dans l’indifférence quasi-générale, a été publié le 2ème volet du 6ème rapport du GIEC sur le changement climatique, nous rappelant qu’il est plus que jamais nécessaire d’accélérer la transition écologique et solidaire, sous peine de fragiliser encore davantage nos territoires et leurs habitants face à des conséquences inéluctables sur nos modes de vie.
C’est l’inaction qui coûte chère et qui est punitive. Ce n’est pas pour rien que le GIEC a reçu le prix Nobel de la paix en 2007.
La paix, ou plutôt la guerre, il en est justement question aux frontières de l’Europe. Et elle nous rappelle la vulnérabilité de nos modèles énergétiques, nos dépendances à des ressources que nous importons, qu’il s’agisse de pétrole, de gaz, mais aussi d’uranium, qui ne se trouvent pas sous nos champs de betterave. Les prix de nos énergies grimpent et pèsent déjà de plus en plus sur nos modes de production ou de déplacement.
Notre rôle, à travers nos politiques de solidarité territoriale, c’est d’anticiper ces évolutions, de permettre à nos territoires et aux nordistes de pouvoir faire face et accompagner notre adaptation à ces nouvelles réalités.
Cela signifie au moins 2 choses en préambule :
1. D’abord qu’il faut accélérer la mise en œuvre et l’ambition de la stratégie Nord Durable en priorisant les investissements du Département sur la transition écologique et solidaire, nous l’avons déjà dit dans notre motion sur l’urgence climatique
2. Il faut aussi regarder lucidement les projets anciens. Je sais qu’il est très valorisant pour les élus de pouvoir dire à leurs concitoyens qu’ils ont réussi à obtenir, de haute lutte, la réalisation, enfin, d’un aménagement, d’une infrastructure qui était réclamée depuis des années, voire des décennies. Mais est-ce bien raisonnable quand les conditions et le contexte d’émergence des projets n’est plus du tout le même aujourd’hui ? Rendons-nous service aux habitants d’aujourd’hui, et surtout à ceux de demain, en ne réinterrogeant pas le bien-fondé de projets vieux de 40 ans ? Le Président de la République et le Premier Ministre Edouard Philippe ont eu le courage de lever toute ambiguïté sur l’aéroport NDDL. Pourquoi pas nous, ici dans cet hémicycle, en ce qui concerne des aménagements de voiries imaginés au siècle dernier ? Je pense au doublement de la RN2 et à d’autres infrastructures routières programmées dans ce budget. Nous sommes en 2022, dans un Département très urbanisé et disposant d’une large accessibilité, les habitants s’interrogent sur le prix des carburants et leur capacité à faire le plein, et ici l’investissement du budget voirie est de 86M€, donc encore en augmentation de 7M par rapport à celui de l’an dernier !
Or quand on regarde les différents budgets des solidarités territoriales qui nous sont ici présentés, nous voyons essentiellement, c’est-à-dire en termes de montants consacrés, des orientations contraires à l’égalité des territoires et qui vont mettre les nordistes dans des situations encore plus compliquées pour eux dans les années à venir :
1. Où est la sobriété énergétique ?
L’énergie la moins chères est celle qu’on ne consomme pas, comme vous le savez. La semaine dernière, en comité de pilotage Nord Durable – où malheureusement il n’y avait pas grand monde, malgré le travail remarquable mené par M. Valois et les équipes du Département, et c’est bien dommage que vous ne le souteniez pas davantage – j’ai retenu une remarque très juste de M. Detavernier sur la portée et la rapidité des évolutions et il mettait en avant l’accélération phénoménale du télétravail du fait de la crise sanitaire et ses conséquences sur la mobilité. Cela montre juste que des habitudes nouvelles peuvent très vite s’imposer. Sachons les anticiper pour éviter de subir douloureusement ces changements.
Tout ce qui permet de réduire la facture énergétique des entreprises, des administrations, des ménages, doit être notre priorité. Ce n’est pas ce que traduisent nos investissements aujourd’hui. Quand la plus grande partie des investissements sont fléchés vers les infrastructures routières, ils ne le sont pas vers des équipements à énergie positive, des collèges par exemple. Non seulement, ces choix reposent sur une analyse des besoins datée, qui ne rendront pas service aux habitants de demain, mais ils empêchent d’investir dans ce qui est vraiment bénéfique à la transition écologique. Notre retard s’aggrave.
2. Peut-on parler de « solidarités territoriales » quand perdurent les inégalités entre les territoires ?
Non, pour les écologistes le budget 2022 du Département sur les solidarités territoriales, le compte n’y est pas.
Les différents territoires du Nord n’ont pas la même capacité à s’adapter au changement climatique, à l’augmentation du coût de la vie, du coût de l’essence, etc. Certains sont contraints, prisonniers d’une situation déjà défavorable. Le Département doit sur ses compétences aider à l’égalité des territoires. C’est ce qu’il fait à travers un certain nombre de dispositifs qui ont été présenté récemment aux communes. Nous étions à la réunion que vous avez proposé, Monsieur le Président, sur l’arrondissement de Lille au début de ce mois, et nous saluons votre implication personnelle dans ces rencontres par territoire.
Il y cependant un non-dit dans ces dispositifs d’aménagement du territoire, c’est le rôle de l’ingénierie territoriale, et que notre budget de « solidarité territoriale » ne traite que peu. Sur les dispositifs ADVB et PTS qui permettent d’accorder des subventions aux communes, il y a quand même un problème de base qui est la capacité des communes ou intercommunalités à sortir des projets. Quand M. le vice-président Siegler nous explique en commission que l’enveloppe de l’an dernier n’est pas complètement consommée parce qu’il y a un problème de manque de maturité des projets, et que cette question est structurelle, comment fait-on pour la résoudre ? Bien sûr, avec les ressources humaines, les compétences et l’ingénierie technique dont disposent les grandes villes, la Métropole, les grandes agglomérations, les chargés d’études, les ingénieurs, des agences d’urbanisme, c’est plus facile de « sortir des projets ». Or cette ingénierie n’est pas toujours à la disposition des territoires qui en ont le plus besoin, il y a là une inégalité flagrante, dont nous élus métropolitains avons bien conscience. Et cette inégalité s’accroit encore plus quand il s’agit de répondre à des appels à projets complexes et exigeants, ce qui est le cas s’agissant de la transition écologique. Cela a été dit lors de la réunion sur l’arrondissement de Lille quand vous avez présenté la bonification Nord Durable pour les subventions ADVB et PTS. Si cette bonification ne s’accompagne pas d’une aide supplémentaire en ingénierie pour qualifier réellement le projet, il est fort probable que cette disposition n’en reste qu’à de l’affichage malheureusement. C’est pourquoi, il nous semble important d’avoir une réflexion de fond sur ce sujet. Nous soutenons I-Nord, et le CAUE, c’est fondamental mais il faut les renforcer. Or les financements à l’ingénierie territoriale sont en baisse en 2022, 2,1M€, par rapport à 2021, 2,6 M€. Est-ce que ça doit passer par des solutions extra-départementale aussi : des financements de la Région, par une meilleure coopération territoriale entre la Mission Bassin Minier, les Agences d’urbanisme, etc ? En tout cas, nous avons cruellement besoin d’une ingénierie renforcée au service de l’égalité des territoires et de l’adaptation au changement climatique.
Nous devons renforcer l’ingénierie territoriale pour aider les territoires à mieux construire leurs projets de développement.
Nous avons aussi regardé plus spécifiquement les budgets des politiques d’environnement et de tourisme durable, sur lesquels Simon Jamelin va compléter mon propos.
Simon Jamelin
Céline Scavennec l’a abordé largement devant vous. Agir en matière de solidarité territoriale, c’est avoir du courage. Le courage d’abandonner des projets et des politiques qui ne vont plus
dans la bonne direction. Le courage d’accélérer des projets dont les fondements sont pertinents.
Le courage de s’appuyer sur des services et des structures qui fonctionnent.
Et notre département possède les ressources humaines et les structures qui nous permettrait d’accélérer fortement les politiques favorables à la transition écologique. Une transition écologique qui n’oubliera ni la ruralité, ni les centres urbains et leur périphérie.
Ce que les nordistes connaissent aujourd’hui de la politique départementale en matière d’environnement et de tourisme de proximité , ce sont les rendez vous Nature en Nord qui sont un grand succès. Le petit catalogue annuel des sorties nature est un outil bien approprié par les nordistes et c’est à saluer. C’est le résultat de l’implication de nombreuses associations locales,
le plus souvent animées par des bénévoles, mais s’appuyant aussi sur des experts, professionnels de la biodiversité, du patrimoine rural et des paysages du Nord. Nous remercions toutes les communes et associations mobilisées pour défendre et faire connaître leur environnement naturel à toutes les générations.
Mais en matière de Tourisme, nous devons aussi nous appuyer sur les structures existantes comme la Tangente pour repositionner notre offre sur un tourisme durable.
Appuyons-nous sur ce qui fait du Nord un beau département : nos rivières, notre littoral, nos forêts. Répondons à l’attente d’un tourisme de proximité qui conjugue faible impact environnemental et attractivité des territoires. Vous me direz que c’est ce que vous faites, mais enfin, que répondre à cette dame que nous avons rencontrée hier et qui lutte contre le contournement de Maubeuge? Cette dame qui vous a cru lorsque vous incitiez les nordistes à investir dans le tourisme durable et local, cette dame qui va voir aujourd’hui son gîte détruit parce qu’il est situé sur le tracé de votre futur contournement ?
Saluons aussi les dispositifs mis en place par le département pour permettre l’approvisionnement des collèges en produits sains et locaux. Cela va dans le bon sens.
Pourtant sans pilotage réel ces dispositifs restent du saupoudrage et ne permettent pas de répondre aux exigences des élèves, de leurs parents, et des producteurs. Nous avons d’ailleurs été surpris d’apprendre que votre évaluation du volume et de la nature des approvisionnements locaux dans les collèges ne réponds pas aux objectifs de la loi Egalim alors même qu’elle est entrée en vigueur au 1er janvier. Aujourd’hui nous sommes tenus de proposer au moins 50% de produits durables dont au moins 20% de produits biologiques en restauration collectives. Faute d’anticipation nous ne sommes même pas en mesure de savoir où nous en sommes de ces
objectifs. Mais je vous le dis, nous sommes très loin d’y répondre et au bout de la chaîne ce sont tous les collégiens du département qui en pâtiront. Chers collègues les politiques et les dispositifs existants sont légions : préservation des espaces naturels, plantation, renaturation et d’autres. Pourtant sans cohérence recherchée avec les
politiques d’aménagement du territoire pour limiter l’artificialisation des sols et protéger les zones humides du département, ces dispositifs ne resteront que des vœux pieux et comme pour
la loi Egalim, en matière de lutte contre l’artificialisation des sols nous ne répondons pas aux objectifs nationaux, en l’espèce ceux fixés dans la loi Climat et Résilience.
Céline Scavennec vous le disait et nous vous le répétons depuis longtemps : en matière d’écologie ce qui est punitif c’est l’inaction, mais l’incohérence l’est tout autant.
Je viens d’aborder les questions d’alimentation et de lutte contre l’artificialisation des sols mais les exemples sont nombreux : comment pouvez-vous par exemple affirmer vouloir nourrir les
habitants du nord via des filières locales tout en artificialisant les terres agricoles dans vos nombreux projets de contournement ?
Pourtant d’autres Départements peuvent nous inspirer en matière de solidarité territoriale, d’articulation entre les différentes politiques et de planification : le département de Loire Atlantique propose par exemple la mise en place de périmètres de protection d’espaces
agricoles et naturels périurbains : un outil destiné à limiter la consommation d’espaces et l’étalement urbain. Ces périmètres de protection foncière, définis en partenariat avec les communes volontaires et la Chambre d’agriculture, garantissent aux communes et aux agriculteurs que ces terres sont, sur le long terme, réservées à une activité agricole. Des programmes d’actions sont associés à ces périmètres pour favoriser l’installation de nouveaux agriculteurs, appuyer les modes d’exploitation respectueux de l’environnement et la protection de la ressource en eau.
Les incohérences sont nombreuses et je ne pourrais pas toutes les développer ici. Gestion de la ressource en eau, mobilités du quotidien…si vous ne dotez pas vos ambitions des moyens nécessaires à leur suivi et leur développement à grande échelle, vous laisserez les nordistes vulnérables.
L’incohérence à l’heure de l’urgence climatique en matière budgétaire c’est aussi d’augmenter le budget voirie et de consacrer des moyens dérisoires à l’environnement.
Seulement 8,2 millions d’euros sur la totalité du budget. Soit environ 0,25 % du budget total du département, pour reprendre vos mots Madame Bécue, c’est probablement à l’image de votre ambition. Nous connaissons vos arguments : il vous serait difficile de calculer de manière précise le budget dédié à l’environnement puisque vos investissements seraient transversaux.
La transversalité n’empêche pas le chiffrage ! Il existe même des outils pour ça, notamment le budget climatique que vous avez refusé de mettre en place et qui permet – pour toutes les politiques – d’évaluer précisément l’impact environnemental de vos actions. En matière environnementale et donc en matière d’aménagement du territoire, je tiens à répéter ici nos réserves concernant la méthode des appels à projet d’aides aux territoires qui représente plus de 46 millions d’euros en 2022.
Si l’introduction d’un bonus Nord Durable pour l’Aide Départementale aux Villages et Bourgs va dans le bon sens, la somme des intérêts particuliers ne fait pas nécessairement une politique publique et peut parfois représenter un frein pour la solidarité entre nos territoires.
Vous nous renvoyez souvent Monsieur le Président à notre situation d’élus lillois, c’est le cas. Mais nous sommes avant tout des élus du département et à ce titre nous rencontrons les habitants de tous les territoires et nous savons que le manque d’envergure de vos politiques environnementales touche déjà les nordistes.