Question d’actualité sur la loi immigration

Portée par Céline Scavennec

Monsieur le Président,

Le 19 décembre 2023, au Sénat puis à l’Assemblée nationale, le Gouvernement a fait adopter un projet de loi immigration qui instaure pour la première fois en France le principe de “préférence nationale” dans notre système de protection sociale, ce qui a réjouit immédiatement, on l’a bien vu, l’extrême-droite.

Je n’insisterai pas sur le coup de communication politique malsaine, ni sur des considérations idéologiques, même si nous sommes profondément choqué.es par le contenu final de ce texte qui constitue une remise en cause des fondements de la sécurité sociale. Mais je voudrais m’attarder un instant sur les conséquences humaines concrètes de cette loi sur les habitants du Nord. 

Plus que tout autre département, peut-être, le Nord est concerné par ces conséquences, parce que nous sommes un département d’immigration, qui s’est construit, et reconstruit après la guerre, qui s’est développé sur le plan économique et industriel grâce à l’immigration. Nous en sommes très fiers, Monsieur le Président, c’est au nom de cette histoire que vous avez offert la semaine dernière au Préfet Leclerc une lampe de mineur lors de ses voeux et ses adieux au Nord, mais il ne faudrait pas oublier que nombre de ceux qui tenaient la lampe au fond de la mine venaient de Pologne, d’Algérie ou du Maroc. 

De fait aujourd’hui, les Nordistes ont tous un lien plus ou moins direct, plus ou moins proche avec l’histoire de l’immigration. Et en cela la loi nous touche forcément. 

Je vais vous parler d’un seul exemple que je connais personnellement : celui d’une dame âgée, venue à Maubeuge dans les années 60, où elle a élevé ses 7 enfants, retournée en Algérie au moment où son mari y a pris sa retraite, et qui, devenue seule et dépendante veut juste terminer sa vie auprès de ses enfants et petits-enfants. Et elle ne pourrait pas bénéficier de l’APA avant 5 ans ? Alors que toute sa famille vit ici, travaille dans nos services publics, dans nos hôpitaux, paye des impôts et contribue à la richesse de notre société. 

La réalité, ce sont ces situations humaines concrètes, de nos familles, nos collègues, nos voisins. La réalité, ce n’est pas du tout une question “d’appel d’air”, avec un individu abstrait qui se lève un jour sur un autre continent et se dit “tiens j’irai bien en France demander une aide sociale”.

L’article 19 du texte voté prévoit que pour bénéficier de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), versée par les départements, un ressortissant étranger doit dorénavant justifier d’au moins cinq ans de résidence ou deux ans et demi de cotisation. Derrière les chiffres pour le Nord, que vous avez rappelé pour un article du Monde le 16 janvier (1,7% des allocataires de l’APA sont des étrangers non européens résidant depuis moins de cinq ans en France, soit 854 personnes) il y a les personnes que nous connaissons.

Derrière ces chiffres, il y a des familles de Nordistes et en ce qui concerne l’APA, je vous invite à rencontrer notamment la Coopérative Chibanis, association de Roubaix qui fait un travail remarquable auprès des personnes âgées isolées qui ont vécu un parcours de migration. Cette association est à juste titre soutenue par une subvention du Département et a tenu un colloque très intéressant en octobre dernier, avec notamment la Fondation Abbé Pierre, et elle pourra illustrer par de nombreux  cas concrets ce qui se joue sur l’APA.

Et au-delà de l’APA, ce sont d’autres prestations sociales qui sont concernées (l’APL, l’allocation de soutien familial pour les parents isolés, la prestation d’accueil du jeune enfant), pour lesquelles il est intéressant aussi de se rendre compte des conséquences à travers des situations réelles. Pour cela, je vous renvoie à une note de la Fondation Jean Jaurès, ou encore une note d’analyse des économistes du collectif “Nos services publics” intitulée “une préférence pour la pauvreté”. Car au fond, cette loi ne produira qu’une chose :  faire progresser la pauvreté et la précarité dans le Nord. Et en restreignant encore les droits pour certaines catégories de personnes, elle va rendre plus difficile la mise en œuvre des politiques sociales conduites par le Département du Nord. 

Monsieur le Président, 

A l’instar de 32 autres présidents de départements en France, vous engagez-vous à refuser d’appliquer la préférence nationale, en particulier dans le versement de l’allocation personnalisée d’autonomie ? 

Allez-vous créer une allocation d’autonomie universelle, afin de continuer à verser l’APA aux bénéficiaires qui seront exclu.es par cette loi ?

Crédit photo : @katyvuylsteker